Au nom de l'Ambition, de la Gloire, et du Saint-Pouvoir

La douce lueur de la pleine lune se teintait d'une d'un étrange mélange de couleurs en traversant les vitraux de la Chapelle Saint Louis. Elle se mêlait à la faible lueur des cierges, éclairant péniblement le bâtiment sacré. Encore une nuit. Une nuit en sa faveur. Le temps était de son côté : bientôt, il prendrait le pouvoir. Le moyen importait peu.

Damaste se pencha sur le présentoir de bougies, choisissant celle qui exaucerait sa prière. Il glissa distraitement une pièce dans la petite boîte qui servait à la collecte, et alluma la mèche élue par ses soins. Alors qu'il énonçait mentalement son plus cher désir, il ferma les yeux. Quelque soit le résultat de cette offrande, il ne regrettait pas d'être venu à la chapelle : il avait beau ne pas être croyant, le simple fait de penser remettre son destin aux mains d'êtres de lumière apportait, le temps d'un soupir, un bref soulagement.

Le charme s'évanouit dès que le conseiller ouvrit les yeux. Il était redevenu une personne de raison, qui ne croyait qu'en une seule chose : lui-même. La responsabilité ne l'avait jamais étouffée, bien au contraire... Dans ces circonstances, aucun échec n'était envisageable. Il devait passer cette épreuve, se prouver qu'il pouvait atteindre ses objectifs... Le doute lui était interdit.

La chapelle était vide, à cette heure avancée de la nuit, et Damaste alla s'asseoir sur un modeste banc de bois au premier rang. Aussitôt, les mécanismes engagés dans son plan apparurent dans son esprit : chacun devait absolument jouer son rôle, sans quoi, il risquait non seulemement de perdre sa place, mais surtout sa vie.

Plusieurs possibilités s'offraient à lui, il avait encore de nombreux choix à disposition pour arriver à ses fins... Il ne parvenait pas encore à décider quel chemin il emprunterait. Chacun possédait ses avantages, ses défauts, ses risques, ses contraintes... Malheureusement, il n'était pas seul sur cet énorme échiquier : d'autres pièces étaient capitales, le moindre pion pouvait faire pencher la balance en sa faveur ou au contraire détruire tout ce qu'il avait construit jusque là.

Le conseiller ramena en arrière une mèche de cheveux rebelle qui s'était attardée sur son front. Il devait faire très attention.

Délicatement, il sortit une petite fiole de sa poche droite, et la ramena devant ses yeux : à l'intérieur dansait un liquide violacé, un liquide horriblement coûteux et tout aussi précieux... Damaste l'avait acquis à prix d'or deux nuits plus tôt, lors d'une transaction plus que douteuse avec une contrebandière téliane. Méfiante au premier abord, elle avait laissé tomber toute suspicion dès que l'humain lui avait tendu une bourse joliment garnie. Ici-bas, comme partout dans le monde, rien ne résistait à l'argent. Toutes les races trouvaient à s'accorder dès qu'une certaine somme d'or était en jeu. Ce principe élémentaire, Damaste l'avait appris très tôt.

Perdu dans la contemplation de sa mystérieuse potion, le conseiller n'entendit pas les discrets bruits de pas qui s'avançaient dans le couloir central.

(A qui veut!)

Aux discrets bruits de pas succédèrent une longue plainte un peu moins discrète :

- Aaaaaaaah j'en ai maaaaaaaaarre, j'ai mal aux jaaaaaaambes ! Pourquoi il faut que je t'accompagne ici ? En plus je suis pas croyante et j'aime pas les églises, elles me foutent toujours les jetons.

Puis une petite silhouette fine et menue se détacha de l'obscurité, une jeune fille toute mince, toute petite apparut devant Damaste, elle rougit un peu et se cassa le dos en deux pour le saluer en balbutiant un "Bonsoir" assez timide. Derrière elle arriva une femme beaucoup plus âgée et beaucoup plus grande, cette dernière déclara avec un petit rire en voyant l'adolescente rouge comme une tomate :

- Ouh bah Anna t'es toute rouge ! C'est le type qui te fait rougir comme ça ? Mouais, dans le genre tu pourrais trouver plus jeune quand même.

Alors la dénommée Anna répliqua visiblement pas très contente :

- De quoi je me mêle, Blanche ? Je rougis parce que tu me fais honte devant Monsieur ! Et puis d'abord c'est toi qui as insisté pour m'accompagner, faut pas te plaindre maintenant ! On est dans une chapelle d'abord pas une église.

Son interlocutrice se tut en poussant un petit grognement, puis les deux femmes passèrent devant le membre du Conseil. Blanche elle, ne prit même pas la peine de le saluer. Bien habillé, bien coiffé, l'air bien nourri, il avait tout à fait le profil d'un ses bourgeois pleins de pouvoirs qui laissaient les monstres Telians et Mathulerans tuer et exploiter de pauvres gens, bref le genre de personne que Blanche n'appréciait pas, il dut donc se contenter d'un regard noir en guise de "bonsoir". Anna s'étant retourné avait bien vu le méchant coup d'oeil de sa patronne et ni, une, ni deux elle lui prit la main et pressa le pas tout en lui soufflant à l'oreille.

- Arrête de le regarder comme un pitbull, tu vas encore t'attirer des ennuis, je suis sûre d'ailleurs que c'est un homme important, si tu l'embêtes tu vas encore avoir des problèmes, le maire n'attend que ça pour faire fermer l'auberge et se débarrasser de toi et si tu disparais je serais pas dans la mouise.

En effet Anna était une des serveuses de l'auberge qui l'aidait grandement dans son travail, elle n'était autre qu'une gentille ado ayant fugué de chez ses parents, des gens richissimes mais si avares, méprisants et cruels que c'était à se demander comment ils avaient pu faire une fille aussi charmante et aimable. Blanche haussa alors les épaules et répondit à haute voix :

- Comme si c'était un bourge qui allait me faire coulure. Nan mais n'importe quoi !

- T'es vraiment incorrigible.

- C'est un compliment ?

Il y eut un moment de silence dans lequel elles se regardèrent toutes les deux avant d'éclater de rire, même si elles se disputaient souvent, elles restaient d'excellentes amies.